L’espace typographique : invisible mais essentielle
Quand on parle de typographie, on pense volontiers aux lettres, aux courbes, aux empattements… bref, à tout ce qui est visible. Mais il existe aussi des signes invisibles, qui se trouvent être parmis les plus déterminants. C’est le cas de l’espace typographique, cette absence pleine de sens qui rythme, articule, et parfois sauve la mise.
Nous allons passer en revue ses principales variantes, leurs usages dans les logiciels, comme sur le web, ainsi que quelques subtilités de vocabulaire. Prêt à vous jeter dans le vide ? Suivez le guide.

Les différents types d’espaces en typographie
Commençons par dresser l’inventaire des principales espaces typographiques utilisées dans la composition de textes.
● L’espace normale
C’est l’espace de base, celle qui sépare les mots dans un texte courant. C’est pourquoi on l’appelle aussi « espace mots ». Sa largeur varie en fonction de la fonte, mais elle correspond en général à un quart ou un tiers de cadratin. C’est l’espace que vous insérez en appuyant simplement sur la barre du clavier.
● L’espace insécable
L’espace insécable évite qu’un mot et son complément ne soient séparés par un saut de ligne. Elle est de même largeur que l’espace normale. On l’utilise en français notamment avec les guillemets (« »), avec les deux points (:), dans les grand nombres pour distinguer les milliers (125 000), entre un nombre et son unité (25 km, 30 €), ou encore avec certains abréviations (M. Dupont).

● L’espace fine
Comme son nom l’indique, l’espace fine est plus étroite. Elle est indispensable en français devant certains signes de ponctuation doubles (; ! ?). Elle est aussi insécable, même si on prend rarement la peine de l’appeler de son nom complet : « espace fine insécable ». Cela va de soi je suppose, mais je préfère le préciser.
Son usage est une marque de raffinement, assez typique de la typographie française. La typographie anglaise l’ignore parfaitement, par exemple. Elle préfére en effet coller les signes de ponctuations au mot qui les précède (“see: no narrow space!”), ou les symboles de devise au chiffre qui les suit (€30, ¥125,000).

● L’espace tabulaire
Moins connue mais redoutablement utile, l’espace tabulaire (ou « espace chiffre ») possède une largeur fixe, identique à celle des chiffres tabulaires. Elle est précieuse dans les tableaux ou opérations mathématiques, afin de conserver tous les chiffres rigoureusement alignés.

Les espaces sur le web : les bons codes HTML
Le HTML ne facilite pas toujours la vie des typographes, mais il permet néanmoins un certain nombre de raffinements. Voici un petit mémo pour insérer les bonnes espaces dans vos pages web :
Type d’espace — entité HTML — valeur Unicode
Espace normale — (espace) — U+0020
Espace insécable — — U+00A0
Espace fine — &8239; — U+202F
Espace tabulaire —   — U+2007
Attention, tous les environnements n’affichent pas correctement toutes les variantes d’espaces. Ce serait trop simple… Testez selon vos besoins, avant de valider.

Les espaces dans InDesign et les traitements de texte
Dans InDesign, les espaces sont facilement accessibles via un simple clic-droit, puis Insérer une espace. Parmis les options disponibles, on retrouve les espaces qui nous intéressent :
– Espace insécable
– Espace fine
– Espace tabulaire (étrangement nommée aussi Espace de lisibilité, dans certaines versions)
Chaque espace est conçue pour répondre à un usage précis, et leur bonne maîtrise permet un contrôle typographique quasi chirurgical.
Dans les traitements de texte (Word, LibreOffice…) l’accès est en général plus limité, et souvent réduit à des fonctions automatiques. Mais il est possible d’insérer manuellement une espace spéciale grâce aux palettes de caractères, ou, sur Windows, grâce à leurs valeur Unicode.
Féminin ou masculin : on dit une espace
On termine par un point de terminologie. En typographie française, on dit bien une espace. Ce genre grammatical peut dérouter : dans le langage courant, l’espace est bien masculin (l’espace intersidéral). Mais dans le jargon typo, il est bien féminin lorsqu’il désigne le signe de séparation. (J’en parle plus longuement ici).
Preuve que la typographie est un univers à part entière, avec même sa grammaire propre.
Invisible, certes, et néanmoins essentielle
L’espace, c’est ce petit rien qui fait tout. Elle n’a ni pleins ni déliés, ni graisse ni chasse, mais elle incarne l’élégance de l’invisible. Trop souvent négligée, elle mérite pourtant toute votre attention. Le grand Hermann Zapf la résumait ainsi : « La typographie est l’art d’espacer les lettres. »*
* La citation, souvent reproduite dans la littérature typographique, semble en fait apocryphe… mais elle est jolie et pleine de sens !
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