Histoire des signes monétaires : l’euro (2)
L’euro est né en 1996, et est entré dans nos vies en 2002. Son symbole fait aujourd’hui partie du décor, mais sa mise en place n’a pas été aussi simple qu’on pourrait l’imaginer.
La question d’un signe monétaire adapté se posa dès l’idée de la création de cette monnaie commune. Une norme iso fut créée et les claviers de tous les pays européens furent adaptés afin de faire une place au nouvel entrant. Ce processus prit quelques années. Quant au dessin du signe, il fut l’objet d’une recherche conduite en interne.
L’Euro, gloire des technocrates
Une trentaine de projets auraient été produits avant le choix définitif. Mais aucun d’entre eux ne sera révélé au public, pas plus que les noms de leurs auteurs. Il semblerait que le belge Alain Billiet ait été le responsable de la création du signe validé par la commission de l’époque. Mais un autre designer, l’allemand Arthur Eisenmenger en a réclamé la paternité. Ce dernier fut longtemps le responsable du graphisme de la Commission européenne et aurait créé, vingt ans auparavant, un signe identique en tant que proposition pour symboliser l’Europe elle-même. Signe qui n’avait pas été adopté à l’époque, mais qui aurait ressurgit pour la nouvelle monnaie, alors même que son auteur eut déjà pris sa retraite.
Une norme européenne ?
Alors, belge ou allemand, le symbole de l’euro ? Le mystère demeurera. En revanche, une autre chose est sûre, bien que fort curieuse. La Commission européenne a tenté d’imposer ce symbole non pas comme un concept à adapter dans le style de chaque typographie, mais bien comme un pictogramme à la forme fixe (voir le schéma ci-dessous), sans variations de style, ni de graisse. Une contravention flagrante avec les usages typographiques similaires, puisque dollar, livre sterling et autre yen ont tous des formes adaptables à leur contexte.
Ce cas de figure a néanmoins un précédent, en l’exemple de l’horrible symbole estimated, que nous autres designers typographiques sommes obligés d’intégrer tel quel dans nos fontes, car telles sont les recommandations de Microsoft. Pour un signe qui ne s’utilise qu’au dos des bouteilles de soda ou de shampoing, disons que ça passe encore… Mais faire de même pour un symbole monétaire de première importance, l’idée paraissait tout à fait extravagante.
Elle a d’ailleurs provoqué une levée de boucliers de la part de typographes. Et finalement l’acharnement normalisateur des fonctionnaires européens n’as pas eu raison du bon sens des typographes. C’est un usage beaucoup plus sage qui s’est imposé, où la logique du signe est adaptée dans le style de chaque caractère. Ouf.
Une explication saugrenue
Quant au sens du symbole lui-même, la Commission européenne explique laconiquement sur son site : « Le symbole “€” s’inspire de la lettre grecque epsilon (Є) et de la première lettre du mot “Europe”».
Certes… sauf qu’en capitale, un epsilon (1) revêt la même forme qu’un E latin. Ou serait-ce alors du epsilon bas-de-casse (2) qu’on s’inspirerait ici pour, bizarrement, former un nom propre sans majuscule ? Et finalement, pour s’en sortir, le texte nous présente un signe qui ressemble, en effet, au signe de l’euro (3). Hélas… cette dernière lettre n’est pas du tout un Epsilon, mais un ié ukrainien.
Les deux lignes parallèles, quant à elles, symboliseraient « la stabilité de l’euro ». Ah, bon ? C’est plus stable avec deux barres ? Pourquoi ? On n’en saura pas plus.
Le dessin typographique de l’euro
Donc ce qu’on peut retenir sur le signe de l’euro, c’est qu’il est basé sur un pictogramme très sophistiqué mais inutilisable. Et qu’après un processus compliqué, l’usage a consacré un C barré de deux traverses parallèles.
Alors de quoi ce signe euro est-il réellement constitué ? On ne le saura en fait jamais. Mais toutes ces explications à moitié mensongères montrent à quel point la réflexion derrière ce signe fut tortueuse. Et finalement peu importe au final l’obscurité de cette histoire, puisque les designers typographiques ont fini par trouver comment dessiner ce pauvre bougre d’euro.
« Compliqué », « tortueux », « obscur »… un processus décidément bien européen.