Munegascu, une typographie pour écrire la langue monégasque
Dans le monde du design typographique, on a la chance de pouvoir parfois conjuguer création et défense du patrimoine culturel. Et c’est précisément ce que ce projet m’a permis d’accomplir. Répondre à un besoin singulier pour une langue riche mais minoritaire : le monégasque.
Langue régionale issue du ligurien, le monégasque est l’un des trésors culturels de la Principauté de Monaco. Avec un nombre de locuteurs restreint – quelques centaines seulement – sa préservation est devenue une priorité. Une récente loi monégasque oblige désormais l’enseignement de cette langue jusqu’en troisième, permettant ainsi aux jeunes générations de se réapproprier leur héritage linguistique.
Cependant, cette revitalisation linguistique se heurte à une limite inattendue : la technologie. En effet, l’un des éléments singuliers du monégasque est son accent tonique, complètement vertical. Or les voyelles accentuées avec de tels diacritiques verticaux n’ont jamais été incluses dans les normes unicode. Ce sont des lettres qui n’existent pas, en quelque sorte… au moins pour l’ordinateur.
Il est par conséquent impossible, ou disons très complexe, de saisir une lettre avec accent tonique sur son écran. Par manque de solutions adaptées, les associations locales n’ont longtemps eu d’autre choix que de recourir à des fontes « bricolées ». Il en résultait hélas que les publications en monégasque étaient limitées à des fichiers PDF statiques, entravant leur diffusion numérique et leur adoption plus large.
Un défi linguistique et technique
C’est dans ce contexte que le Centre scientifique de Monaco (CSM), le Comité national des traditions monégasques (CNTM) et la Sogeda ont décidé d’agir. Ivan Arkhanguelsky, responsable du pôle web, m’a contacté et confié la mission de créer un caractère typographique dédié, capable de répondre aux spécificités de la langue monégasque. Une fonte qui permettrait de composer facilement les accents toniques, malgré les limitations des systèmes actuels.
Un fork d’un caractère open source
Plutôt que de repartir de zéro, nous avons choisi de nous baser sur une fonte open source. Une option flexible et économique qui permettrait également une diffusion large et libre de droits. Notre choix s’est porté sur Archivo, une fonte élégante et contemporaine créée par la fonderie argentine Omnibus Type. Nous avons développé un fork de cette fonte, c’est-à-dire une version modifiée, en y intégrant les caractères accentués monégasques, grâce aux fonctionnalités avancées du format OpenType.
Rebaptisé Munegascu, le caractère est désormais disponible en téléchargement gratuit sur le site du CNTM.
Faciliter la saisie du texte
Il restait à surmonter la difficulté de ne pas avoir les lettres monégasques disponibles sur le clavier. Car bien sûr, faire fabriquer des claviers monégasques est une option économiquement encore inenvisageable. Il fallait permettre à des utilisateurs de clavier français de saisir facilement des lettres qui n’y figurent pas, et qui n’existent même pas dans le répertoire unicode…
Pour y arriver, il m’a fallu ruser et inventer un mode spécifique de saisie de l’accent tonique vertical. Le principe est le suivant. Lorsqu’on frappe une barre verticale immédiatement après une voyelle, la barre se transforme en accent tonique et vient se positionner correctement au-dessus de la lettre. Ceci se fait automatiquement et instantanément.
Cette astuce, à la fois simple et intuitive, rend l’utilisation de la fonte accessible même à des utilisateurs non spécialistes. Car cette barre verticale, en plus de faire penser à l’accent vertical, est facilement disponible sur le clavier.
Ce petit tour de passe-passe est fonctionnel sur la plupart des logiciels, par défaut, et même sur Word. Là encore il a fallu quelques petites ruses de code informatique pour y parvenir…
Une solution universelle
Une approche plus simpliste aurait par exemple consisté à remplacer les lettres accentuées du français inutilisées en monégasques, par les lettres monégasque manquantes. Remplacer è par e-accent-tonique par exemple, ou encore û par ü-accent-tonique. Sauf qu’une typographie ainsi trafiquée n’aurait plus permis de composer du français. Ça aurait été une typographie ghettoïsée en quelque sorte… en plus d’être une véritable hérésie du point de vue de l’encodage !
Grâce à son approche originale, le Munegascu permet de rester compatible avec les autres langues. Et c’est l’autre grand bénéfice pour les utilisateurs. En plus de permettre la saisie fluide du texte, ce caractère, bien que non orthodoxe à quelques égards, reste universel. Il rend ainsi véritablement possible une pratique élargie de la langue.
Valoriser le patrimoine culturel
Ce projet a été une longue aventure, à la fois technique et humaine, mêlant tradition et innovation. En tant que designer typographique, j’éprouve une certaine fiereté d’avoir pu aider au développement de la langue monégasque.
Je remercie chaleureusement Ivan Arkhanguelsky, Claude Manzone et toutes les personnes impliquées dans ce projet de m’avoir fait confiance.
Ce caractère, désormais utilisé dans les publications locales et dans l’enseignement, est une preuve tangible que la typographie peut être un outil au service de belles causes culturelles. Un véritable levier pour valoriser les langues et les identités minoritaires.