Entre fonte, caractère et police : comprendre les mots de la typographie
Dans l’univers riche et complexe de la typographie, des termes souvent utilisés de manière interchangeable peuvent semer la confusion. Comprendre les nuances entre « fonte », « caractère », « typographie » ou « police » est essentiel pour tout designer graphique.
Tous ces termes peuvent désigner la même chose, mais ils recouvrent aussi d’aussi sens. Souvent nés à l’époque de la typographie au plomb, ils ont été gardés à l’ère du numérique par souci de transmettre un héritage. Et parfois au prix d’un léger déplacement de sens. Nous allons tenter de donner la définition précise de ces mots, démêler leurs subtilités, et dégager l’utilisation appropriée d’aujourd’hui.
Fonte
Ce terme fait bien sûr référence à la fonte du plomb, que l’on coulait dans les matrices pour produire les caractères mobiles. Le terme de fonte, par métonymie, a fini par désigner tous les caractères fondus dans une même série. À l’époque du plomb donc, on pouvait dire qu’un Garamond Extended Bold de corps 10 était une fonte.
Aujourd’hui, la fonte désigne toujours la déclinaison stylistique d’une famille de caractères, mais cette fois-ci c’est un fichier informatique dont il s’agit. Un Garamond Extended Bold est une fonte. La fonte matérielle est devenue une fonte immatérielle : un logiciel.
Caractère
Ce terme désigne là encore deux choses différentes. Son premier sens est celui d’unité de base de l’écriture typographique. Tout signe présent dans une fonte est un caractère, que sa représentation soit une lettre, un chiffre, une ponctuation ou un simple espace de blanc. Il s’agit du concept derrière chaque signe.
Dans la typographie au plomb, le caractère état constitué du type mobile, surmonté d’une partie en relief qui entrait en contact avec le papier, imprimant la forme lisible du signe. On appelait métaphoriquement cette partie « l’œil ».
Mais le caractère a finit par prendre un deuxième sens, celui de l’ensemble entier dans lequel viennent s’inscrire les différentes variations stylistiques de graisses et de genre. Ainsi à l’époque, et aujourd’hui encore, on dira que Garamond Light, Garamond Display Regular, Garamond Condensed Bold Italic… sont des fontes qui composent le caractère Garamond.
Ceci dit, les lignes sont en train de bouger avec les fontes variables, qui regroupent toutes les variantes stylistiques dans un seul fichier. Fonte et caractère tendent à devenir la même réalité. On approfondira sans doute dans un prochain article.
Typographie
La typographie, c’est l’art et la technique de disposer des caractères mobiles afin de composer harmonieusement un texte. Mais l’usage a consacré un second sens à ce mot, celui de famille de caractères. On dira couramment que le Garamond est une « typo ». Faisant donc finalement de typographie un synonyme de caractère.
Cet usage n’est pas très rigoureux, si vous voulez mon avis… Mais il me semble être une familiarité qui confine à la marque d’affection. Alors, soit !
Police
L’expression de « police de caractères » est encore très utilisée, et notamment par le grand public. Mais on sent bien qu’il y a… quelque chose de suranné dans ce mot de « police », vous ne trouvez pas ?
Le terme recouvre de fait une réalité qui a complètement disparue. Au même titre que la police d’assurance, la police de caractères était le certificat, la liste (donc une simple feuille de papier) qui indiquait le contenu exact de chaque fonte de caractères que le fondeur avait en catalogue : « Ce Garamond Regular contient 50 a, 20 b, 30 c » etc.
Avec le temps, « police » a fini par désigner le caractère tout entier. On se retrouve donc avec un troisième terme qui signifie la même chose. Garamond est un caractère, une typographie, ou encore une police de caractères.
Ceci dit, le terme de police n’est pas monté dans le train de la modernité : il ne désigne plus aucune réalité dans l’écosystème numérique. Il est devenu désuet, et finalement inutile. Je recommande de ne pas l’utiliser.
Le meilleur terme ?
À passer en revue tous ces mots, je me dit qu’il semble bien difficile de désigner un caractère. « Caractère », « typographie » et « police » sont des figures de style en fait assez imprécises. « Fonte » désigne autre chose. N’y aurait-il pas un moyen plus simple et plus direct de désigner la nature de ce que sont les Garamond, Didot, Banco… ?
Je revient souvent à la notion « d’écriture typographique », qu’Yves Perrousseaux a introduit avec sa série d’ouvrages historiques*. J’aime beaucoup ce terme. On écrit avec la main et un stylo : c’est l’écriture manuelle. Ou on écrit avec des caractères typographiques… c’est l’écriture typographique.
Pour reprendre notre exemple, ne pourrait-on pas dire tout simplement que le Garamond est une écriture ? Une écriture typographique.
…bien sûr, il est inutile d’imaginer changer des usages aussi anciens. Mais on ne perd jamais totalement son temps à se poser des questions !
Quoiqu’il en soit, « fonte », « typographie », « police » ou « caractère »… tous ces termes sont issus de l’ère de la typographie au plomb et portent en eux l’histoire d’un héritage. À l’heure du numérique, ils évoluent et prennent d’autres couleurs, mais ils continueront toujours de résonner avec « passion » et « savoir-faire ».
Merci pour cet article utile qui recontextualise avec simplicité les termes. Dans la continuité, j’apprécie utiliser cette courte citation de Norbert Florendo découverte grâce à Stephen Coles : “the typeface is what you see and the font is what you use.”