Font, type, typeface… les mots anglais dans la typographie

Type designer, type foundry, typeface, lettering : dans le milieu du design graphique, l’anglais est omniprésent. À tel point qu’il semble parfois conférer un certain prestige aux discours professionnels. Mais cette fascination cache souvent une incompréhension du sens réel des mots. Résultat : on utilise des termes anglais sans toujours savoir ce qu’ils signifient, au détriment de mots français pourtant parfaitement adaptés — et plus compréhensibles. Il est temps de redonner leurs lettres de noblesse à nos propres termes typographiques.

Font, type, typeface... les mots anglais dans la typographie

Font

Le mot font se retrouve aujourd’hui fréquemment dans notre jargon professionnel. Et pourtant, il vient… du français fonte. Ironie de l’histoire : ce mot, qui désigne l’action de fondre du métal, a été emprunté par les Anglais, qui eux-mêmes utilisent le mot casting pour parler du même procédé. 

Autrement dit, font est un mot français anglicisé, puis réimporté dans notre vocabulaire comme s’il s’agissait d’un terme plus moderne ou plus « pro ». 

Mais il n’en est rien. Fonte est non seulement plus légitime historiquement, mais aussi plus clair pour un public francophone. Alors arrêtons de faire des pirouettes linguistiques : fonte suffit amplement. Utilisons-le fièrement.

Typeface

Typeface est le mot anglais équivalent à notre caractère, au sens de famille de caractères. En français, ce mot est une synecdoque : on désigne le tout (la famille) par une de ses parties (le caractère isolé, la lettre). Les anglophones font exactement la même chose.

Le terme typeface désigne littéralement le « visage du caractère », c’est-à-dire la partie visible sur le plomb typographique. Ce que nous appelons en français l’œil. Si l’on traduisait littéralement le mot anglais, cela donnerait « l’œil du caractère ». Pas très heureux, n’est-ce pas ?

On comprend donc pourquoi notre bon vieux caractère reste une option aussi poétique que pratique. Il n’a franchement rien à envier à typeface.

Type designer, type foundry

Dans notre petit monde de typophiles, il arrive qu’on prétende ne pas avoir d’équivalents français pour des termes comme type designer ou type foundry. Vraiment ? Cela semble bien curieux, surtout pour un pays qui conçoit des caractères depuis des siècles…

Pour comprendre d’où vient cette impression, un détour par la grammaire anglaise s’impose. L’anglais utilise fréquemment des noun modifiers, c’est-à-dire des noms utilisés comme adjectifs placés avant un autre nom. C’est une manière efficace de condenser l’information. Ainsi, science department signifie littéralement « département de science », mais se traduit par « département scientifique ». Même chose pour climate change (changement climatique).

Dans ce contexte, on comprend que type designer est tout simplement une forme abrégée de typographic designer, qui se traduit logiquement par designer typographique. De même pour type foundry, contraction de typographic foundry, qui correspond parfaitement à notre fonderie typographique.

Pas besoin donc de chercher des anglicismes pour paraître plus précis ou plus « tendance » : nos mots français existent bel et bien, et ils font le job le boulot !

Lettering

Le lettering a le vent en poupe depuis quelques années. Il suffit de faire un tour sur Instagram pour s’en convaincre : peinture en lettres, calligraphie, tatouages typographiques… Ce regain d’intérêt est une excellente nouvelle, car l’art de la lettre dessinée est riche et fascinant — surtout quand il est exécuté à main levée, dans des contextes parfois acrobatiques !

Mais tout cela est bien loin d’être nouveau. Le lettering existe depuis les débuts de l’affiche publicitaire, au XIXe siècle. Et en français, on en parle depuis aussi longtemps, avec le terme… lettrage

Ce terme désigne l’art de dessiner des mots ou des groupes de mots avec une intention graphique, sans passer nécessairement par la création d’un alphabet complet. C’est une part importante de mon métier.

Alors non, lettering n’apporte rien de plus que lettrage — si ce n’est une illusion de nouveauté. Autant utiliser le terme clair, précis et déjà bien installé.

Ce qui se conçoit bien…

Il ne s’agit pas ici de faire la guerre à l’anglais, ni de nier son rôle majeur dans la culture typographique contemporaine. Mais il est bon de se rappeler que le français dispose d’un vocabulaire riche, précis et historiquement légitime pour parler de la typographie.

Plutôt que de céder aux effets de mode ou à un certain snobisme linguistique, pourquoi ne pas simplement choisir les mots les plus justes — ceux qui disent exactement ce que l’on veut dire, dans une langue que notre lectorat comprend immédiatement ? Notre discipline mérite cette clarté, et notre langue, cette confiance.

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